Born Again

Je suis né pour la première fois un jour de novembre, loin d'ici. C'était dans une ville enfumée, triste, grise, qui tournait son dos à la mer. Une ville qui avait été blessée, mais avec l'élan des années de jeune démocratie, elle espérait se réveiller.

Je suis né une deuxième fois, il y a longtemps aussi. Ce jour de septembre où j'ai abandonné mon enfance dans un hôtel minable. Nous étions deux gamins en entrant. Nous en sommes ressortis homme et femme, main dans la main. Et pendant quelque temps nous avons marché ensemble.

Je suis né une troisième fois. J'ai quitté ma maison et j'ai quitté amis et parents. Depuis, je les ai souvent revus mais jamais retrouvés. Les chemins de la vie mènent là où l'on ne s'y attendait pas.

J'ai ensuite choisi l'obscurité. J'ai construit une forteresse que peu ont su approcher. Je me suis enfermé dans ma tour et j'ai attendu la fin. Un jour comme tous les autres, elle s'est approché de moi. Hésitante, paumée un peu, elle m'a regardé et a souri. Avec elle, nous sommes passés de nos ténèbres vers la lumière. C'est alors que je suis né pour la quatrième fois.

Aujourd'hui la vie n'est pas plus facile pour elle. Mais elle continue son chemin avec une étonnante sérénité. Je lui souhaite, du fond du coeur, bonne route. Nous nous reverrons plus jamais.

Maintenant la nuit est revenue. Les vieux démons aussi. Les drogues, l'alcool, les gens de mauvaise compagnie et quelques filles un peu trop faciles ont pavé ma route vers le collapse des sens. J'ai détruit tout ce qu'il y avait de bon en moi, parfois inconsciemment, souvent consciemment et par plaisir. Car en ressentant la douleur on a soudainement conscience d'exister. Et j'ai cherché des raisons à mon existence dans le bien et dans le mal, toujours avec une intensité rare, proche du désespoir.

Aujourd'hui ce suis ce clown triste et obèse qui se regarde dans une glace et qui ne comprend pas. Qui cherche et qui ne trouve pas. Et qui aimerait être ou avoir été quelqu'un d'autre, mais qui n'en a plus la force. Aujourd'hui encore je fais du mal, et je me fais du mal, parce que je suis incapable de ressentir autre chose.  Et je remplis mes sens de tout ce qui est inutile et superflu. Et ça me dégoûte.

Je fais bonne mine face à mon autre: mon existence n'est pas assez importante pour que d'autres se fassent du souci à mon égard. Mais ça devient de plus en plus difficile, et je perds toujours plus le contrôle de ma vie. Le chemin est si court vers la folie. Le fil qui relie à la vie est si fragile.

Je n'ai d'autre issue, je crois, que de tuer celui que j'ai été. Ce pantin, cette marionette, cette imposture effroyable, cette insupportable oppression. Je ne suis qu'un personnage, solitaire et bleu, par contrainte et par choix. Mais dans mon délire j'ai parfois des instants de lucidité. C'est alors que je réalise que je veux mourir. Mourir pour renaître... une cinquième fois. Peut être que cette fois-ci je saurai sortir de ma prison.

J'aimerais tellement être quelqu'un de bien. J'aimerais être capable d'aimer.

Toi, mon autre, tout ce que je déteste en moi, je te quitte aujourd'hui.